Le bébé requin

Le Bébé-Requin ou le charme discret du parricide, roman, papier et numérique, 5 sens éditions, 2017 (réédition).


Résumé:

Les humains veulent savoir ! Quoi que puisse me coûter la révélation d’outre-tombe, mon fils était une taupe limborigène. Dès ses premiers instants il dut se rétrécir aux dimensions physiques et intellectuelles d’un nouveau-né puis d’un quelconque garnement de notre sous-espèce. Tout au long du récit c’est avec des sentiments partagés qu’il suivra mes initiatives et déboires tant littéraires qu’affectifs. Las de ma carence généralisée, il se résoudra à se substituer progressivement à moi en tous domaines, se détournant ainsi de sa mission, assez obscure il est vrai, de mercenaire extra-terrestre. Cette mésaventure, je le sais, ne m’est pas exclusive, beaucoup s’y reconnaîtront ; au moins me serai-je donné le mérite de rompre l’omerta !

Adrien Cantrel, aveux recueillis par Georges Richardot


LE BÉBÉ-REQUIN (sauvagement hétérobiographique) – Extraits

(Agapes vosgiennes)

Le premier jour, les jeunes gens ne s’appartinrent pas un instant. Après le déjeuner petits-plats-dans-les-grands (pâté lorrain, bouchées à la reine, gigot, légumes du jardin, fromages, glaces), auquel avaient été conviés une dizaine de familiers, ce fut la tradition éprouvante mais incontournable de la dégustation des alcools produits dans la famille – il n’y avait pas de fruit qu’on ne distillât, par le biais de tortueuses combines, sur lesquelles planait l’ombre énigmatique du « bouilleur de cru », qui effrayait tant Adrien enfant… avant, galéjera-t-il par la suite, qu’il intègre la pratique de l’exorcisme par la contrepèterie !
Puis se succédèrent amis, voisins, curieux de connaître la Parisienne de l’Adrien. Maintes bouteilles de champagne – ou de mousseux, qui serait allé faire la différence ? – furent apportées et sacrifiées à des gosiers que la consommation ne faisait qu’altérer davantage.
Heureusement, le dîner, dans l’intimité – outre les voisins immédiats n’avaient été retenus que les bouchers fournisseurs gracieux du gigot, pas libres à midi –, fut quasiment frugal : lapin cocotte, pommes de terre sautées, salade de laitue à l’estragon, géromé, œufs à la neige. Après quoi, coupée par un brûlot extasié, se déroula la partie de cartes rituelle, le « Barbu » pour cause de surpopulation remplaçant l’habituelle belote.
Enfin, coucher, dodo. Bien sûr, les fiancés faisaient chambre à part ; au demeurant, vaincus par cette débauche d’agapes, ils s’endormirent sur–le–champ, chacun de son côté, comme des petits anges à la panse bien remplie.

(Le Grand Petit)

Greffant son imagination sur l’exemple d’une minuscule boutique du 14e, La Licorne Bleue, où il adorait musarder (fort sympathique effectivement, avant de faire faillite), Adrien avait tenté, à plusieurs reprises dans le passé, de persuader sa libraire de femme d’expérimenter des créations d’événements : signatures, lectures-débats, expositions, avec vernissages, d’estampes, de gravures.
La madrée savait qu’il ne pourrait résister à cet hommage à arrière-goût de défi rendu à sa créativité. Préalablement à une hypothétique acceptation, le sollicité posa la condition d’un schéma conforme, en tous points, à celui qu’elle avait secrètement envisagé : il exigeait la libre disposition d’une vitrine et d’un sous-sol, aménagé à sa guise, et dont, dès l’entrée du magasin, un escalier à vis assurerait l’autonomie.
Ayant obtenu gain de cause, Adrien hésitait encore ; ce qui le décida ce fut de trouver un nom pour son caveau. Il le baptiserait Le Grand Petit, à l’inspiration d’un personnage-clé de son théâtre.
Ainsi, dans l’affaire, chacun pouvait s’estimer satisfait.
………………………………………

À titre d’animation principale, le Grand Petit devait périodiquement promouvoir un écrivain différent, dont un livre, le dernier paru ou le plus important, serait seul à occuper la vitrine, « éclaté » à la façon des Colères d’Arman, environné d’objets, de tableaux illustrant l’ambiance de l’œuvre. Dans la mesure du possible, l’écrivain distingué participerait à un débat, ainsi qu’à des signatures plus intimes les mercredis en fin d’après-midi.
Pour l’inauguration, il fallait frapper un grand coup. Qui choisir ? Ce fut Waldheim, consulté, qui fournit la solution. Il proposa un jeune plasticien (pour qui l’ignorerait encore, le plasticien est au peintre-sculpteur ce qu’est au coiffeur le capilliculteur) en pleine ascension, dont il venait de faire la connaissance aux États-Unis. Quel nom avança-t-il ? Dans le mille : Arnaud Flash-1 !
Ayant perdu le contact avec son ancien camarade, Adrien apprit de la bouche de l’éditeur qu’ayant élu résidence dans le Vermont, il séjournait alors à Paris, pour la sortie d’une monographie qui lui était consacrée. La coïncidence lui parut un signe du ciel. Waldheim n’était pas assuré de l’acceptation de l’artiste, extrêmement sollicité. Adrien, lui, n’en doutait pas. Aussi modestement qu’il le put, il expliqua la part déterminante qui avait été la sienne dans les débuts de la jeune célébrité…
Fort de sa dimension internationale sentant encore la peinture (mais si peu), Arnaud Flash-1 traita Adrien avec une familiarité nuancée de condescendance. Il avait abandonné le Nouveau Réalisme pour une démarche conceptuelle à base de formules géométriques associées à des figures algébriques… ou l’inverse ? Pourquoi pas, si ça marchait ?

Adrien se lassa vite de ses expériences de libraire-animateur-barman d’ailleurs non rentables. La cause de ce fiasco financier n’était pas tellement un défaut d’affluence. Il y avait des curieux, voire un noyau d’habitués – retraités papivores, enseignants, personnes esseulées – mobilisable en nombre suffisant pour faire illusion. Mais, hormis de temps à autre l’achat d’un livre de poche, ces braves gens croyaient avoir amplement servi la cause de la littérature en abandonnant sur la table le prix d’un Vichy-fraise.

(Clins d’œil au « littéraire »)

Pierre Seghers

Adorant la poésie de jeunesse d’Adrien, elle (Hélène) se risqua à une initiative extrême. Sans s’inquiéter de l’accord de l’intéressé, elle envoya un manuscrit à Segh…. Presque par retour, ce dernier fit une proposition. Bien que bougon, Adrien fut flatté. Mais, à ses yeux, ces œuvrettes étaient périmées, trop marquées par l’adolescence, éloignées de ses préoccupations, de son esthétique actuelles.
Durant son service militaire, il avait pondu d’autres poèmes, plus mâles d’inspiration : à la rigueur ceux-là. Il les adressa, avec le contrat signé, à Segh…, le priant de faire la substitution. Les meilleurs ont parfois de ces aveuglements : le prestigieux éditeur prétendit s’en tenir au précédent recueil. Au grand dam d’Hélène, une fois encore Adrien se buta, et l’affaire resta sans suite.

Raymond Queneau (Jesbeat)

Dépité par la non-percée de « Peintre et Modèle », ne sachant plus qu’entreprendre, il replongea dans ses œuvres de jeunesse. Pas mal d’années auparavant, il s’était amusé à écrire un récit délirant, intitulé, ce qui annonçait bien la couleur : « Vieil le tempe, semeur », histoire abracadabrante d’un retraité qui, arrosant son jardin, avait la surprise de voir germer puis prospérer un temple grec, bientôt peuplé de déesses, archanges et autres mythologiques succubes auxquels n’eût pas résisté le Saint Antoine qu’il n’était pas.

Encore aggravait-il son cas en bousculant à l’envi notre belle langue, fierté de nos cœurs patriotes au même titre que l’eau Perrier, le cassoulet, Yves Saint-Laurent et la Pissotière de la Reine. Tout y passait : vocabulaire, mais également grammaire, voire ortograffe, en sorte d’aboutir à un jargon censé néanmoins rester compréhensible – indispensable quand on écrit n’importe quoi !

Lorsqu’arriva la seconde lettre de Gall… – en déjà vieux routier, il n’avait pas même décacheté la première –, le sang, mais un sang bien rouge, presque bleu, lui monta au visage. Elle était manuscrite, signée du nom d’un des grands maîtres des lettres françaises (nom que nous tairons, par authentique respect), et disait ceci :

« Cher monsieur,
« J’ai lu avec beaucoup d’amusement « Vieil le tempe, semeur ». Malheureusement, il y a bien des pages mal venues et que vous auriez intérêt, je crois, à supprimer. Ces coupures faites, cela donnerait un livre assez mince, mais qui pourrait trouver place dans une collection de… (Ici, une autre maison d’édition – étranges pratiques !).
« Si vous ne répugnez pas à pratiquer quelques réductions dans votre texte, il y a pour vous une possibilité intéressante. Vous n’auriez alors qu’à écrire à Madame… (dont nous tairons le nom, par authentique irrespect), qui a beaucoup aimé la démarche, et accueillerait volontiers « Vieil le tempe, semeur » sous les réserves ci-dessus.
« Permettez-moi d’insister auprès de vous pour que vous acceptiez cette solution : il faut consentir parfois des sacrifices, d’autant plus qu’il me semble que la demande qui vous est faite est objectivement fondée.
« Veuillez croire, cher monsieur…

Il embrassa la lettre, il embrassa Hélène, il embrassa son manuscrit, puis, après avoir hésité entre les deux derniers, se plongea dans le second pour une fiévreuse relecture.
Le temps d’écrire à madame Dontnoustaironslenom pour solliciter rendez-vous et d’en recevoir la réponse, les coupes sombres étaient pratiquement arrêtées dans sa tête.
Si bref fût-il, le message de madame Dontnoustai confirmait bien l’option lucide et a fortiori courageuse de la signataire :

« Monsieur,
« Je serai très heureuse de vous recevoir le mardi 25, à 16 heures, si date et heure vous conviennent. Il me paraît plus facile d’envisager de vive voix les coupures possibles, mais, bien entendu, vous emporterez le manuscrit sur lequel nous aurons travaillé pour le revoir ensuite à tête reposée. La publication est prévue en novembre.
« Croyez, Monsieur…

Adrien attendit une bonne heure avant d’être introduit dans le Saint des Saints. Madame Dontnous trônait derrière un bureau impressionnant. Elle avait la quarantaine Élisabeth Arden, ni belle ni laide (plutôt laide, avec le recul, mais sans ladrerie de matériau).
Elle leva les yeux sur l’arrivant. Immédiatement, se créa une tension presque palpable. Après coup, Adrien s’emploiera à analyser le phénomène. La seule explication qui émergera fut qu’il devait ressembler à un personnage ayant laissé à son interlocutrice de pénibles souvenirs.
Au temps de ses études, dans une période de vacances où Nancy était désert, une jeune prostituée débutante, accostée dans un bar, s’était prise de béguin pour lui. Elle ne le traitait pas comme un client potentiel (rappelons que c’était la morte-saison) ; lui-même n’oubliait pas sa profession : au contraire, par un romantisme à la Cendrars, la situation l’excitait, intellectuellement plus que physiquement.
Ils passèrent plusieurs soirées à copiner autour du pot, puis la demoiselle de nuit l’invita à dîner dans son studio. Le repas fut médiocre, bien que, visiblement, elle y eût mis tout son cœur. Après le café, elle ouvrit son lit. Mais alors qu’Adrien amorçait la pénétration, elle se raidit, et, en dépit de leur insistance, ne put la supporter. Fondant en larmes, elle expliqua à Adrien qu’il lui rappelait un client ayant sorti un couteau au début d’une passe. L’idylle s’arrêta là…
Pour en revenir à madame Dontn, le drame fut qu’elle justifia mal le terme d’interlocutrice, dont, avec certain manque de rigueur, pardonnable dans un épisode mineur, nous l’avons parée. En fait, une fois passé le choc initial : mélange, semblait-il, d’attirance et de répulsion physiques, où la seconde réaction l’emportait nettement sur la première, sa seule préoccupation parut être de clore au plus vite l’entretien.
Quand Adrien en sortit, il n’emportait aucune indication exploitable. Il s’en tint donc aux corrections spontanées, et renvoya son texte. Question câlins, il se faisait fort d’amener à loisir madame Do à résipiscence. Le jeu pouvait en valoir la chandelle : elle ne manquait pas d’allure, dans le gabarit bonne laitière. Y a-t-il rien de plus gratifiant que deux bons gros seins bien fermes ?
Un mois plus tard, lui parvenait cette lettre :

« Monsieur,
« Nous avons le regret de ne pouvoir publier « Vieil le tempe, semeur » dans l’état actuel du manuscrit. Il reste encore trop d’énumérations interminables ou de passages traditionnels où l’écriture, cessant d’être acrobatique et drôle, devient maladroite et lourde. À partir de la page 64, le relâchement est manifeste.
« Votre talent est certain, mais il vous manque un contrôle. Je reste vivement intéressé par tout ce que vous pouvez écrire, et vous prie de croire, Monsieur…
« D…
Décidément, elle était rien moche ! Et ces doudounes vraisemblablement pendouillardes : même sur une île déserte, sans, pour rivaliser, la moindre chopine de Candia à l’horizon… !

Alerté par Adrien sur ce mauvais coup, le grand maître des lettres lui répondit, fort courtoisement, mais sans l’indignation escomptée :
« Cher Monsieur,
« Je ne sais ce qui s’est passé et il n’y a personne en cette période de vacances qui puisse me renseigner. Je serais désolé en tout cas si ce malheureux dénouement vous décourageait. C’est une amère pilule, je le reconnais, mais votre prochain manuscrit sera bien meilleur, vous verrez.
« Croyez, cher monsieur…

PJ Oswald

Sur ce, cet horizon grisâtre parut s’éclairer. Avec un retard considérable, « Vieil le tempe, semeur » sortit enfin.
L’ouvrage était bien mince, néanmoins quel plaisir la vision de sa signature s’y étalant, fût-ce sous le couvert du pseudonyme ! Quelle délectation anticipée la perspective de faire le tour des librairies pour estimer les piles, observer incognito les connaisseurs s’arrêtant, feuilletant, emportant vers la caisse leur précieuse emplette !
Las, il eut beau pousser de nombreuses portes, il ne vit son œuvre qu’à la FNAC, assez bien exposée d’ailleurs, au point qu’il regretta de ne pas s’être muni d’un appareil photo.
Il voulut téléphoner à Waldheim pour s’inquiéter de cette lenteur dans la mise en place et, par la même occasion, s’enquérir des critiques éventuellement parues déjà, suite aux services de presse. L’éditeur ne répondait pas ; il se rendit à son adresse.
Le portail de la rue étant ouvert, il monta directement à l’étage, frappa. Il entendit la clé tourner dans la serrure. La porte s’entrebâilla sur un Waldheim échevelé, qui parut soulagé à sa vue.
– Ah, c’est vous, Adrien ! Je m’apprêtais à vous appeler. Entrez !
Le petit homme alla s’effondrer derrière son bureau. Prenant le siège des visiteurs, Adrien remarqua :
– J’ai tenté « x » fois de vous joindre !
– Malheureusement, vous n’êtes pas le seul !
– La merde, mon vieux ! La merde !
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Quoi ? Les critiques ? Mauvaises ?
– Les critiques ! Mon pauvre, vous êtes rafraîchissant ! Le diffuseur. Cet escroc s’est mis en faillite.
– Faillite ! Non ?
– Disparu, envolé ! Tout est sous scellés. J’ai songé à mettre moi-même la clé sous la porte.
– Et mon bouquin, dans tout ça ?
– Misère ! S’il n’y avait que le vôtre, de bouquin ! Au moins, vous, vous l’avez ? Et moi ? Moi, vous y pensez une minute ? Tout ce que j’ai engagé dans l’histoire ! Cette fois, la coupe est pleine, je renonce. Tiens, je vais ouvrir une pizzeria.
Adrien avait peine à déglutir.
– Il n’y a vraiment rien qu’on puisse faire ?
– Pas grand-chose, je le crains. Comptez sur moi pour tirer le maximum de la situation : je me sens une responsabilité morale… (Il se leva.) Mon vieux, malheureusement, pour le moment, je ne peux vous en dire davantage. Vous m’excuserez : j’ai du pain sur la planche et guère le cœur à la conversation. Je vous donnerai des nouvelles sitôt que j’en aurai.
Il eut alors une réaction saugrenue, qui laissa Adrien pantois. Contournant le bureau, il n’eut guère à se pencher pour embrasser son visiteur sur le front.
– Bon courage ! Croyez qu’il m’en faudra plus qu’à vous !
La semaine suivante, un colis fut livré à la librairie. Il contenait plusieurs centaines de « Vieil le tempe, semeur », accompagnés d’un mot de Waldheim : « Voilà tout ce que j’ai pu sauver du naufrage. Ne vous découragez pas, vous avez du talent. »…

THÈÂTRE

Michel Fontayne, TQM (Théâtre quotidien de Marseille)

Un comédien, ami d’Arnaud Flash-1, avec qui lui-même était entré en sympathie, avait fondé une compagnie à Marseille. Depuis une éternité de silence, il détenait de ses manuscrits. Puisque notre redresseur de torts en était à régler ses comptes, il lui adressa le poulet suivant :
« Mon cher Rivière,
« Apparemment, tu manques de temps pour lire mes pièces, en voici donc une, conçue tout exprès pour la circonstance…
« Le rideau se lève sur un appartement misérable, au troisième étage, palier gauche, d’un immeuble vétuste, à proximité du Vieux Port. Des policiers en civil rossent un travailleur portugais entre deux âges.
« Soudain, venant du boulevard, on entend un vacarme assourdissant. Le chef des policiers lâche l’homme qu’il maintenait par le collet, et s’écrie :
– Garde à vous, messieurs, c’est l’arroseuse municipale qui passe !
« Rideau.

« Ainsi, du moins j’ose l’espérer, tu auras fini par lire quelque chose de moi ! Unité de temps, de lieu, d’action, typologie des personnages, vivacité des dialogues : je t’ai gâté, pas vrai ? Inutile de te confondre en remerciements : nous sommes entre amis.
« P.S. : Bien sûr, je peux, à la demande, abréger ou délayer. Cinq tunes à la signature, participation aux bénéfices en dessous de table.
Parieriez-vous qu’on lui répondit ?

Grande licence, Gigi du Grand Cirque

L’aventure avait bien commencé. Une jeune femme, débutant dans la mise en scène, avait décidé de monter une de ses pièces dans une MJC de la grande banlieue. Il s’agissait d’une farce, d’une fable plutôt, où la Sainte Famille était présentée sous les traits de tenanciers d’un bistrot louche. Seuls échappaient à la trivialité les deux jeunes premiers romantiques, dont Jésus, transcendé par l’amour.
Oublions les anicroches préalables, dues au manque de moyens matériels et humains : si elles valurent à l’auteur des sueurs froides, elles l’enrichirent d’une expérience qui, dans une perspective durable, lui eût été profitable.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, le projet ne tourna pas court, et le spectacle fut donné. Plus encore que les provocations formelles, le sujet fit scandale. Si une moitié du public siffla et quitta la salle, l’autre, passant sur les faiblesses de la réalisation, répliqua par des applaudissements non moins partisans. Le lendemain, la salle était comble, le même phénomène se répéta. Adrien était aux anges.
Hélas, il n’y eut pas d’autres représentations. Dans la même journée, dépassé par les événements, un comédien de raccroc se fondit dans la nature, puis la jeune interprète de la Vierge Marie fut appréhendée pour usage de stupéfiants. Une fois de plus, un Tchekhov, dont on comprend mal l’acharnement, allait parvenir à bouter hors de scène un Cantrel peu en posture pourtant de lui porter ombrage !