THEATRE, Généralités

VU PAR D’AUTRES

Le 1/11/1963

Monsieur,

J’ai lu « Cité A1 B18 ». Il me semble que vous avez un réel talent : sens du dialogue, don de faire vivre les personnages, humour noir efficace et un sens métaphysique certain sont vos atouts. Lorsque je commence ainsi c’est que je ne sais pas très bien quoi dire ? Cela arrive.
En fait j’aime bien la manière que vous écrivez mais quelque chose m’empêche d’aimer ce que vous avez écrit et la raison de cela ne m’apparaît pas nettement. Peut-être le fait que je ne croie pas aux pièces d’anticipation et que votre peinture de la cité à venir soit trop volontairement noire (la vie à Paris actuellement l’est peut-être davantage).
Bref, comme mes compliments sont réels, je vous renvoie « Cité A1 B18 » et vous demande de m’envoyer une autre pièce si vous en avez une.
Amicalement.

Jacques Fabbri

(Un bel encouragement d’un grand professionnel au sommet de sa carrière, mais je venais d’obliquer vers un théâtre de recherche qui impliquait d’autres interlocuteurs. Nous sommes restés en contact quelque temps.)

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Théâtre de l’est parisien
Maison de la culture

Le 6 Novembre 1968

Monsieur,

Je vous renvoie sous pli séparé le manuscrit que vous avez bien voulu me confier.
Très intéressé par « Épitaphe pour une crucifiée », j’ai goûté avec un rare plaisir un texte aussi riche et dense. Il s’agit d’une pièce très dure, aux résonances multiples. J’ai très souvent pensé à Béjart au cours de ma lecture. Il saurait donner à ce texte le rythme et la plastique qu’il mérite sans doute. Je m’en sens incapable. Et je ne pense pas que sur le plan dramatique seul, une telle œuvre puisse déjà s’adresser à notre public.
En vous remerciant de votre confiance,
je vous prie d’agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments distingués.

Guy Rétoré

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Nice, le 29 juin 1969

Mon cher Sodoyan,
Je n’étais pas fâché, hier soir, que vous ayez été accaparé par des amis après la représentation. L’impression, violente, d’un tel spectacle a besoin d’être décantée pour trouver son expression. Surtout pour moi, très peu au fait du théâtre de notre époque. C’est en paysan du Danube que je vous en parlerai, et mes réflexions sont, sans doute, dénuées d’intérêt.
En dépit de quelques faiblesses de certains interprètes et peut-être d’une mise en scène un peu lâche, cette œuvre m’a vivement frappé.
Onirique, certes, mais pas comme c’est souvent le cas par la recherche d’un insolite adolescent, ou le refus de la continuité. Comme les psychologues issus de Freud retrouvent, à travers les rêves, les préoccupations profondes de leurs patients, dans votre pièce l’esprit, violemment heurté par les techniques que vous mettez en œuvre, s’ouvre et retrouve spontanément les grands thèmes de la vie.
Je ne vous dirai pas que j’y ai pris plaisir, vous n’apprécieriez d’ailleurs pas car vous n’aviez certainement pas l’intention de faire plaisir. Mises à part quelques trouvailles verbales, votre pièce n’est pas drôle, pas du tout drôle même. Mais j’ai très peur qu’elle ne soit vraie…
Depuis samedi soir, j’ai d’autant plus envie de connaître vos œuvres écrites.
Croyez, mon cher Sodoyan, à mes sentiments amicaux.

Louis Solères,
chef d’entreprise et artiste-peintre

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Extraits de lettres de Jack Jaquine (1969)

(Jack Jaquine, auteur fécond, théâtre, radio, télévision, cinéma (dont de nombreux succès, notamment « La cage » avec Lino Ventura) se mettra en quatre pour aider mes débuts, me mettant notamment en relation avec deux agents, l’un pour le théâtre, le second pour les autres créations.)

LA BALLADE DU PETIT GENERAL… « Un humour délicat enveloppe cette petite féerie qui rappelle parfois le meilleur Prévert. Le ton mineur ce cette pièce n’empêche pas l’auteur de passer en revue les horreurs de la guerre (le mutilé, la paysanne un peu trop spectaculairement blessée). L’insouciance charmante de la vie du petit général fait pendant à la poétique futilité de sa mort. Cette gracieuse « ballade » mériterait l’attention d’un metteur en scène dont l’esprit serait attiré par le merveilleux de cette œuvre »…

Je viens de terminer « Épitaphe pour une crucifiée ». Merci pour ce plaisir. N’attendez pas une critique de moi. On sort assez secoué de cette pièce. Elle passe un peu en vous comme un orage, avec quelle sombre fureur ! Permettez-moi de vous louer sans vergogne, bassement. J’aime tout, j’ai suivi votre propos pas à pas, en imaginant la mise en scène, les éclairages… Il y a des tirades qui planent. Je pense à ce qu’elles donneraient dans la bouche d’un Alain Cluny, par exemple…

J’ai lu votre « Petit Général ». C’est ravissant. J’ai eu le plaisir égoïste de penser que vous avez bien du talent et que j’ai été un des premiers à le reconnaître. Vous avez un ton qui n’est qu’à vous. Cette pièce est différente… Jouée par des comédiens c’est du caviar !

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Fiche de lecture de l’ATAC (Association Technique pour l’Action Culturelle:

RETABLE BAROQUE AUTOUR D’UN CHRIST AUX MARIONNETTES : « Réflexion fondée et pessimiste sur l’Homme déchiré par la Femme que tout son être appelle et par le monde qui gangrène tout. Pas de personnages, mais des symboles possédant des personnalités intelligemment conçues. Le texte se présente comme une sorte de long poème en 5 actes. Il y a une écriture personnelle, animée d’un souffle réel . Des tons très divers (slogans publicitaires ou politiques mêlés à des cris aux accents très personnels et profonds). Des chants, des chœurs… Ce texte peut être le prétexte (surtout les 3 derniers actes… ) à de nombreux jeux théâtralement beaux… »

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(1975) Théâtre National de Marseille LA CRIÉE

Monsieur,
Nous avons lu, avec beaucoup d’intérêt, votre pièce (MONMEUS) dont nous avons réellement apprécié le style très riche, l’invention et l’originalité.
L’intrigue se dissout par contre un peu trop à notre goût au fil de la pièce mais, encore une fois, la qualité du langage est tout à fait exceptionnelle.
Pourtant, votre pièce ne pourra pas actuellement entrer dans nos projets de programmation.
Permettez-nous, toutefois, de garder le texte par-devers nous si nous organisons à l’avenir des lectures, ou pour le faire lire à d’autres metteurs en scène.

(Marianne Epin, le 12 décembre1995)

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M-A Turner-Klimt » Kit théâtral – concept original
« Le flux verbal de monsieur Richardot est extraordinaire, vocabulaire riche, sens du jaillissement, du rythme ; des associations libres surprennent, permettent des envolées lyriques, du chant, assonances, dissonances, des glissements du sens, d’adroites pirouettes… Pour aller où ? Sur ce périmètre où règnent le fric, le paraître, la sottise et l’ennui – la marchandisation de l’art, de tout l’être… »… refus lié au concept.

(Fiche transmise le 20/11/2006 par MM Jean-Louis Benoit Directeur & Michel Touraille, Comité de lecture)

VU PAR MOI

Extrait d’une correspondance avec un « homme de théâtre » :
Un texte que, provisoirement je décrète terminé ne l’est pas tant que ne le prolonge pas la perspective d’un débouché, d’un public. Étant exposé à la confrontation, je ferais, dans les limites de certaines marges, les concessions dues à ce public, dans la configuration où il se présente. Ces marges ne sont pas constantes. Je les estimerais à un sixième pour un éditeur, un quart pour un metteur en scène de théâtre (les pourcentages sont théoriques, seul compte l’ordre d’idée). Le metteur en scène a évidemment des droits d’une autre espèce, s’agissant de concilier, conjuguer deux entreprises créatrices. Du reste, il m’est arrivé, en fait les rares fois où je fus joué, de me plier à des infléchissements que je dirai circonstanciels, ne modifiant pas l’œuvre matricielle.
En dehors même de ces aléatoires hypothèses spontanément, ce texte, je le reprendrai, dans quelque mois, quelques années, dès qu’ayant cessé d’être à vif il sera engourdi d’une anesthésie naturelle propice à la chirurgie. Et puis d’autres fois, d’autres fois, jusqu’au Jugement Dernier…
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Extrait d’une lettre à Richard Tialans, éditeur, homme de théâtre, pataphysicien belge, le 22 juin 19..

J’aime le Théâtre, oui : une certaine idée du Théâtre. Pourquoi ? Parce que c’est un lieu, des hommes (mieux, des acteurs) qui en ce lieu pénètrent, l’occupent ; c’est l’attente, la possibilité, la nécessité, la fatalité d’une Action, imbrication qui, pour moi, figure la condition humaine. Ces éléments essentiels, le jeu théâtral ne doit pas les oublier, ni dédaigner, ni camoufler, mais à l’opposé en faire sa pâture.
Un éditeur, lançant une collection, à qui j’avais adressé des manuscrits, me répondit par des compliments assortis d’une question : « Pourquoi ne pas vous rapprocher de la réalité ? »… Parce que (en tant qu’auteur !) cette réalité ne m’intéresse pas. C’est l’autre : la grand R… que j’ambitionne d’explorer, sinon d’éclairer. Et qui, j’en suis convaincu, fondamentalement est l’affaire du Théâtre.
Retour aux sources ? Sans doute, aux sources lointaines. Vouloir reconstituer une situation, avec sa logique, son décor, ses personnages, me paraît vain. Le cinéma, la télévision y réussiront mieux, et il me semble indigne du Théâtre de se déguiser (lui déguise – avec soin et talent –, il ne se déguise pas). Ne jamais perdre de vue qu’une scène est une scène, les acteurs des acteurs, le public le public. Survolant cela, planant dans les cintres, tel mon Vengeur (de Monmeus), le Théâtre : regardez-le passer ! Salut, Théâtre !
Le Théâtre, c’est sur la scène et non sur le papier, avec des acteurs et non un stylo, qu’il se conçoit. Évidemment, ce n’est qu’une image, mais, quant à moi, si maniaque irrépressible de l’écriture que je sois, ce lieu et ces acteurs, je ne risque guère de les oublier, puisqu’ils sont le meilleur de ma matière littéraire, poétique, eux et non quelque récit ou démonstration à mener à leur terme.
Les acteurs ? Des femmes, des hommes voués à plier à toutes les exigences théâtrales leur corps, leurs gestes, leur voix. Je n’ai guère envie de leur demander de compositions, encore que… Les personnages ont rarement d’importance, plutôt faudrait-il songer à les estomper ; les physiques pas davantage, en dehors du Gros et du Maigre, de la Vieille et de la Jeune (cf. Goya). Je cherche l’Homme, je le répète ; l’Acteur, en tant que tel (s’en doute-t-il lui-même ?), me semble en offrir une incarnation particulièrement expressive, pathétique.
Je les asservis au texte, qui – explicitement ou non – commandera tout d’eux, jusqu’à la respiration. Mais ce texte, il est fait pour eux, sur eux, d’eux-mêmes. Et, s’ils se libèrent, se rebellent, s’expriment, que ce soit possédés par le Théâtre, dans le sens du jeu, et non poussés par quelque futile, haïssable cabotinage !
Cette idée du Théâtre se situe parfois à la frontière du religieux, je l’admets, d’ailleurs est-ce si surprenant ? Son aboutissement, plus qu’un spectacle, me paraît être la célébration d’un mystère, à moins que la pratique d’un exorcisme. C’est ce qui, je crois, en cette civilisation de l’efficacité fallacieuse d’hyper-technologies d’ores et déjà franchissant les limites du contrôlable, où les besoins fondamentaux de l’Homme sont occultés, comprimés sous d’hypocrites postulats… peut justifier cette réunion d’essence rituelle, tribale, propitiatoire, d’un public !
Comment juger MONMEUS ? Cette pièce m’embarrasse, je ne me sens pas encore prêt à la relire. Encore serait-elle manquée que cela ne me chagrinerait guère. Il faut l’erreur, l’erreur, encore et toujours l’erreur pour apprécier la difficulté et le prix – et le jeu– de ce qu’on cherche à atteindre…

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Interview parue dans AAREVUE, 19/9/1986
L’ami Richard TIALANS me demande pourquoi je schtrimpfe.
Hé bien, je l’ai toujours fait, commençant, en gentil adolescent, par la poésie. Je n’avais pas tellement besoin de schtrampfaction, puisqu’un schtrémpfiteur célèbre à qui une tierce personne avait adressé un manuscrit l’ayant accepté, j’avais décliné l’offre.
Après, j’ai schtrimpfé dans à peu près tous les genres, me heurtant à un inschtrumpfès des plus stimulants. Le théâtre m’occupa passionnément, avant que durant de longues années la déception m’en éloigne.
Ce ne fut pas sans peine que je schtrimpfais à côté d’un métier qui me prenait de plus en plus de temps, jusqu’à ce que, voici trois ans, il me schtrompfe. Simultanément à d’autres choses de la vie auxquelles je tenais.
Alors, je répète la question : pourquoi, si ce n’est pas vraiment pour la schtrampfiole, à laquelle, néanmoins, nul ne saurait rester totalement indifférent ?
C’est pour concéder vie à un double de moi, un second personnage assez remuant, qui, ayant ramassé et fait siens quelques outils de hasard, prétend absolument en tirer œuvre. Si je ne lui en offre pas la possibilité, il fera la gueule, méchamment, tristement, ce qui me rendra, à mon tour, triste et, peut-être, méchant.
Mais, insistera-t-on, lui-même, que cherche-t-il ? D’abord, on s’en doute, à exister – par rapport à moi en premier lieu : des deux, lequel sera satellite de l’autre ? Et puis, détenteur fasciné de ces outils, il ressent le besoin lancinant d’en affirmer le maniement. Je dois préciser que la satisfaction qu’il en retire m’inspire souvent des réactions inverses ; qu’il est arrivé qu’il me dérange par la place excessive que son activité brouillonne prenait sur mon territoire. Mais qu’y faire ? Sépare-t-on des jumeaux ?